Les ardoises

Ne croyez-vous pas que c’est dans les ardoises que la pluie se décide ? Elles se mettent à palpiter les unes sur les autres comme les plumes de grandes ailes qui vont s'envoler... Alors, flattée, la pluie tombe. Mais je me suis souvent demandé ce qu'elles auraient fait, les ardoises, si la pluie n'était pas venue : seraient-elles vraiment parties au-devant, ou bien n'était-ce qu'un simulacre, qu'un chantage ? Et n'y avait-il pas des fois où la pluie s'amusait à être en retard, pour leur montrer gentiment leur impuissance, sans toutefois trop les blesser.
Ainsi les toits me paraissent un lieu équivoque, et je défends toujours aux enfants de les regarder, comme s'il y avait là un piège dont je n'aurais pas saisi toute l'astuce, et qui pourtant me choquerait.
Et généralement les enfants me comprennent. Ils me dévisagent seulement avec des yeux étonnés, se demandant, sans doute, comment une grande personne peut encore s'apercevoir de ces choses.
L'autre jour, je rencontre la petite Monique en extase devant le toit de l'école qui brûlait; et me prenant la main elle me le montre du doigt en disant :
- Tu vois, il a été puni !
Et moi, frappé de trouver tant de joie dans son regard, comme d'une belle réussite après un long effort, je ne serais pas surpris qu'il y ait beaucoup de petites filles qui, pour une raison ou pour l'autre, s'en aillent jouer aux allumettes dans les greniers; et puis, comme de vrais artistes qui reculent un peu pour juger de l'effet, des petites filles qui dégringolent vite l'escalier de la maison et sortent voir sur la route où ce toit obscène s'étalait, comme le feu peut le saisir, le tordre et le jeter ardoise par ardoise avec la désinvolture d'un joueur qui abat son jeu.
Mais cette fois, c'était le toit de l'école. Lui évidemment s'imposait. Comment avait-on osé mettre un toit sur une école ? C'était révoltant ! Quelle inconscience ! et comme cela criait justice ! Alors de tout mon cœur je me réjouis de ce beau feu qui faisait son travail, et répondant à la pression de la main de la petite Monique, je dis simplement
- Maintenant, toi aussi, tu pourras travailler tranquille !